Les origines du goût de souris dans le vin
Repéré dès les années 70, le goût de souris est un défaut du vin en recrudescence ces derniers temps. Cette altération donne du fil à retordre aux viticulteurs, puisqu’elle est difficile à identifier, que sa perception varie dans le temps et qu’il existe encore une multitude d’hypothèses pour justifier sa présence. Où en est-on de la recherche et a-t-on des informations plus précises sur l’origine des goûts de souris ? Éclairage avec l’IFV et le laboratoire Excell lors du dernier SITEVI.
Le goût de souris : qu’est-ce que c’est ?
Premièrement, le goût de souris est un défaut exclusivement olfactif : il n’est pas détectable au nez. La sensation qu’il laisse en bouche varie selon les personnes. D’ailleurs, 30 % d’entre elles ne le perçoivent même pas ! Certains parleront d’arrière-goût de pop-corn ou de galette de riz, d’autres de charcuterie, de cage de souris ou encore de vomi. Dans tous les cas, lorsque cet arôme prend le dessus sur le goût du vin, la dégustation est loin d’être agréable.
D’où vient le goût de souris dans le vin ?
Les spécialistes penchent pour la piste de l’origine microbienne, et plus particulièrement les levures de type brettanomyces et les bactéries lactiques.
- Brettanomyces : il s’agit d’une levure très répandue, souvent repérée dans les recoins mal nettoyés des chais ou sur les raisins.
- Bactéries lactiques : ces bactéries à Gram positif se développent dans un milieu faiblement oxygéné.
La présence de ces bactéries, liée aux différentes caractéristiques physico-chimiques du vin, entraînerait des réactions en chaîne, responsables de ce fameux goût de souris. Si ce dernier s’était fait oublier, on peut se demander pourquoi il est soudainement de retour. Les explications semblent plutôt évidentes pour les experts : la diminution de la teneur en SO2 des vins ces dernières années, d’une part, et les changements climatiques, d’autre part.
Le SO2 et les goûts de souris
Le dioxyde de soufre (SO2) a longtemps été un additif chimique majeur dans le processus de fabrication de vin. Depuis quelque temps, l’utilisation de cet intrant fait débat, en raison de son impact néfaste sur la santé. Les vignerons ont donc dû s’adapter et réduire progressivement les sulfites dans le vin. Conséquence immédiate : puisque le SO2 est un puissant antioxydant et antimicrobien, en réduisant sa teneur, on augmente le risque que des bactéries ne se développent, pouvant ainsi mener au goût de souris tant redouté. Les vins naturels sont donc bien plus exposés à ce défaut.
L’impact du climat sur les goûts de souris
Le réchauffement climatique a des répercussions majeures sur le secteur de la vigne et du vin. Selon les régions, on note en effet une réelle avancée dans la date des vendanges mais aussi, de nombreuses modifications du vin au niveau des tanins, du pH ou encore du TAV (titre alcoométrique volumique). Concrètement, la hausse des températures a un impact direct sur les vins : elle fait monter le taux de sucre dans le fruit et donc d’alcool, alors qu’en parallèle, l’acidité diminue. Une explication de plus qui serait plausible pour justifier le grand retour du goût de souris.
Détection, prévention et plan d’action curatif
La problématique autour du goût de souris est réelle puisque cette altération du vin n’est pas forcément définitive et que les techniques de détection « artisanales » ne sont pas toujours fiables. En effet, une personne peut très bien déguster un vin sans percevoir de goût de souris. Il faut alors proposer d’autres méthodes d’analyse plus poussées pour identifier formellement ce défaut sensoriel.
La technique analytique du laboratoire Excell

Depuis quelques années, les demandes de dosage des goûts de souris ont fortement augmenté pour le laboratoire Excell, tirant la sonnette d’alarme sur le retour de ce défaut longtemps oublié.
Première constatation : en grande majorité, les vins présentant des goûts de souris affichent également une diversité microbienne atypique. Trois molécules sont identifiées comme étant en cause :
- L’ATHP (acéthyltétrahydropyridine),
- L’APY (acétylpyrroline),
- L’ETHP (éthyltétrahydropyridine).
Chacune de ces molécules existe sous deux formes : une forme imine et une forme énamine.
Après de nombreux essais, le laboratoire est capable depuis début 2018 d’utiliser une méthode fiable et rapide (méthode en LC-ESI-MSMS) pour doser en une seule fois les trois molécules, sans modification du PH.
Plusieurs phénomènes sont alors observés. Le laboratoire Excell présente les premiers résultats obtenus sur une série de vin de cabernet franc du Val de Loire, issus de 3 producteurs en 2018 :
- Les molécules ATHP et ETHP sont prédominantes.
- Les bactéries Brettanomyces bruxellensis et Oenococcus oeni sont présentes en grande quantité. Un seul vin affiche une population de Lactobacillus plantarum.
- La teneur en azote et en phénols volatils est importante.
- On remarque une présence d’acide D-lactique.
Globalement, les vins au goût de souris sont chargés en acide gras à courte chaîne (principalement acide isovalérique et acide isobutyrique). Des amines biogènes, comme la putrescine et la cadavérine, sont parfois également présents.
Les préconisations en cas de goût de souris détecté
Comprendre l’origine du goût de souris est essentiel pour être en mesure d’éradiquer ce défaut. Cependant, il n’existe pour le moment pas de remède miracle pour le faire disparaître. Les deux pistes à explorer sont, dans un premier temps, éliminer les micro-organismes à l’origine du défaut, et, dans un second temps, traiter le défaut par l’ajout de SO2 ou de tanins allergiques. La question du dosage reste épineuse car il ne faut pas altérer la qualité du vin.
Une autre solution, plus incertaine : attendre, tout simplement. Il n’est pas rare que cette flaveur disparaisse d’elle-même au bout de quelques mois.
Imprévisible et insaisissable, le goût de souris est la bête noire des vignerons. S’il est si difficile à maîtriser, c’est parce qu’il peut apparaître n’importe quand et que son origine précise est encore incertaine. Mais les travaux sur le sujet évoluent et toute la communauté d’experts et de scientifiques prend à bras-le-corps cette problématique, qui est un défi de plus à relever pour la filière viticole…